Baie de l'enfer
Le Jaudy forme aussi une jolie ria. La promenade vers la baie de l'Enfer oscille entre mer et campagne. Le sentier de visite des moulins ruinés s'écarte du GR34 et propose une belle promenade en forêt.
La Baie de l’Enfer délimite les communes de Plouguiel et de Plougrescant. Cette petite zone profonde et calme est un repli idéal pour les oiseaux hivernants. En effet, sa position la protège des «coups de tabac» dominants venant du nord-ouest.
Elle est connue pour avoir été le théâtre d'une tragédie maritime relatée dans ses écrits par le célèbre poète Trégorrois Anatole Le Braz.
La famille Le Bras était allée passer la journée chez des amis, Mme Huin et ses fils, qui habitent Port-Béni en Pleubian. Après souper, ils décidèrent de rentrer à Tréguier. Les fils Huin proposèrent de les y conduire dans un canot qu’ils avaient loué pour la saison. Ils allèrent trouver Pierre Le Briand, marin retraité et lui dirent d’armer le bateau. Celui-ci fit remarquer que ce retour par bateau, étant donné le vent, l’heure tardive et la marée, n’était guère prudent, ils insistèrent et Le Briand céda en disant : « si nous buvons la goutte ça ne sera pas ma faute ! ». C’est donc sur la Marie-Thérèse, un vieux bateau jaugeant à peine deux tonneaux, que prirent place dix-sept personnes. La première partie du voyage s’accomplit sans incident. Poussé par un vent favorable, le bateau filait, remontant l’estuaire du Jaudy, quand, tout à coup, vers vingt heures trente, en face de la baie de l’Enfer, en Plougrescant, à la hauteur de la balise blanche, qui se trouve non loin de l’île Loaven, survint une brusque saute de vent. La voile changea de côté. Au lieu de larguer l’écoute Pierre Le Briand essaya de virer vent arrière. Tous les promeneurs furent projetés du même côté ; cette surcharge, jointe à la manœuvre de Pierre Le Briand fit chavirer le bateau. Ils se retrouvèrent tous à l’eau. Quelques-uns essayèrent de se cramponner à la quille du canot mais, sous le poids celui-ci coula à pic, au fond du chenal.
Les naufragés essayèrent de lutter contre vents, marée montante, mer forte et courant violent. Ils appelèrent au secours, mais il faisait nuit noire et personne ne pouvait les secourir. Mr Léon Marillier parvint à saisir un aviron pendant que les fils Huin, à la nage, gagnaient, l’un une bouée, les deux autres l’île Loaven. Mr Marillier voyant une forme humaine auprès de lui, parvint à la saisir et à l’entrainer : c’était Mlle Jeanne Le Bras. Après avoir lutté pendant plus d’une heure, épuisée, il fut jeté sur un rocher couvert de goëmon et Jeanne Le Bras, un peu plus bas, sur la rive. Pendant ce temps, l’un des fils Huin, accroché à la bouée sur laquelle il s’était réfugié, était parvenu à saisir Mme Guyomarc’h, qui elle-même tenait son enfant dans les bras ; l’autre fils Huin, après avoir gagné l’île Loaven, ne craignait pas de se remettre à l’eau pour atterrir à Beg ar Vilin, en Plougrescant, et aller chercher du secours. Les forces vinrent à manquer au premier, il dit à Mme Guyomarc’h de se soutenir un instant sur le bord de la bouée, pendant qu’il se défaisait de ses vêtements. Il réussit à ôter son paletot et sa chemise, et à s’attacher, par ce moyen, à la bouée. Mais hélas, épuisée, Mme Guyomarch n’avait pu résister plus longtemps et disparut ainsi que son enfant.
Ce n’est que vers trois heures du matin que des cueilleuses de goëmon entendirent des appels et trouvèrent Léon Marillier. Elles donnèrent l’alarme et ne tardèrent pas à rencontrer les douaniers qui, accompagnés du fils Huin, se mirent à la recherche des naufragés et purent recueillir Léon Marillier, Henri et Robert Huin.
Dès cette journée du mercredi, les premiers cadavres furent retrouvés et transportés à Tréguier. La mer rejeta les autres corps sur les rivages de Pleubian, Kerbors et Plougrescant durant une dizaine de jours. Anatole Le Braz, nouvellement nommé Maître de Conférences à la faculté de Lettres de Rennes, arriva à Tréguier le lendemain du drame et y apprit la tragique disparition de huit membres de sa famille : Nicolas Le Bras (76 ans), son père ; Philomène Le Roux (56 ans) sa belle-mère, Jeanne (17 ans), Mathilde (19 ans), Anne-Marie (29 ans) et Joséphine (37 ans) ses soeurs ; Joseph (32 ans) et Guy-Yves (4 ans) Guyomarc’h, ses beau-frère et neveu.
Les autres disparus sont : Suzanne Postel épouse Huin (46 ans) et son beau-frère Charles-François Duchesne (61 ans) Pierre Le Briand (62 ans) marin retraité, Amélie Guillard (30 ans) et Charlotte Guénaire (17 ans) domestiques, Léon Marillier, après plusieurs semaines d’agonie, inconsolable de la mort de son épouse, décèdera en octobre. Les membres de la famille Le Bras sont enterrés au vieux cimetière de Tréguier.
Anatole Le Braz ne figure pas parmi les disparus. Ayant été nommé à Rennes, à partir de la rentrée de 1901, il était allé à Rennes, avec sa femme, chercher un logement. Il a appris le drame, le lendemain, à Tréguier, dans une boulangerie, dans laquelle sa femme et lui sont allés prendre du pain car ils craignaient de ne pas en trouver à Port-Blanc. Anatole Le Braz a répondu aux touristes : " Ce ne sont pas ceux qui partent que je plains, ce sont ceux qui restent. «Ses cheveux sont devenus tous blancs dans la nuit. Anatole Le Braz n'a jamais accusé la mer. (source : http://www.histoiremaritimebretagnenord.fr/)